mardi 27 mai 2008

Petits chefs

Il nous faudra travailler très fort nos frustrations existentielles. Il ne faudra surtout pas se forcer à développer la profondeur, ne surtout pas se forcer tout court, se laisser aller à la belle nature, mais surtout pas celle qui aurait trait à quelque paresseux épicurisme. Car « l’homme est ainsi fait ». Un yack sous le frac, un requin sous le saint-frusquin, une queue dans le froc, une bête sous la jaquette, l’homme est ainsi fait. Incapable par nature de dépasser une nature d’abord animale. Pourquoi chercher à faire surgir quelque humanité des bas-fonds de la nature de bestioles qui, elles, s’assument pleinement. Agressivité orientée vers quelque utilité vitale, respect des hiérarchies, amour des forts et des gicleurs d’essuie-glaces, sans doute la nature comprend tout et crée les valeurs. Dans ces conditions, il faut le dire et prévenir les naïfs, les places sont chères. Le chétif devra aimer sa condition -ses frustrations- et le chef n’aura d’autre choix que d’exprimer sa puissance –sa condition- pour le bien de la communauté qui le lui rendra. C’est naturel, c’est « humain », c’est comme ça ma bonne dame ! L’espoir est offert à tous de pouvoir échapper à la condition du chétif pour devenir au pire le chef du chétif, au mieux le maître du monde. Mais on peut aussi ne pas envier la place des petits chefs et des maîtres éructant leurs frustrations pour exprimer leur force, non pas parce que leur nature les y obligerait, mais plutôt parce que ces frustrations sont toujours aussi l’expression d’un trop plein de vide de soi dont le résultat est bien plus violent que fort.



Loo

mardi 6 mai 2008

La sensibilité individualiste

"Chienchien" by loo



Pour justifier tous les sacrifices de pacotille, les mensonges à soi, les léchages de bottes, les obligations illégitimes que l'on se doit de faire pour préserver le confort des autres, on a pu entendre parfois cette parole lâchée sans justification ni, surtout, d'argumentation autre que "génétique":

"- Mais nous sommes des êtres sociaux".

Bestiaux serait plus adéquat. Oui, comme les boeufs, les moutons, les loups, les fourmis, les chauves-souris, les chiens, les singes (des copains), les manchots super stars, les lions, les poules et le reste. Tout cela est bien beau, mais où donc est allée se fourrer la conscience? Dans le cul des poules, dans l'estomac des vaches, dans la fatigue des lions? Dans la motivation des rats... La socialité animale demande plus de respect puisqu'elle ne suppose a priori pas l'effort.

"La sensibilité individualiste n'est pas du tout la même chose que l'égoïsme vulgaire. L'égoïsme banal veut à tout prix se pousser dans le monde, il satisfait le plus plat arrivisme. Sensibilité grossière. Elle ne souffre nullement des contacts sociaux, des faussetés et des petitesses sociales. Au contraire, elle vit au milieu de cela comme un poisson dans l'eau.
La sensibilité individualiste suppose un vif besoin d'indépendance, de sincérité avec soi et avec autrui qui n'est qu'une forme de l'indépendance de l'esprit; un besoin de discrétion et de délicatesse qui procède d'un vif sentiment de la barrière qui sépare les moi, qui les rend incommunicables et intangible; elle suppose,
du moins dans la jeunesse, cet enthousiasme pour l'honneur et l'héroïsme que Stendhal appelle espagnolisme, et cette élévation de sentiment qui attirait au même Stendhal ce reproche d'un de ces amis: "Vous tendez vos filets trop haut." Ces besoins intimes, inévitablement froissés dès les premiers contacts avec la société, forcent cette sensibilité à se replier sur elle-même."

Georges Palante, La sensibilité individualiste

...Peut-être dans les burnes des loups ! Et cela vaut pour l'autre pour la seule raison qu'on attend ces "efforts" en retour pour son pauvre petit soi.

Loo

vendredi 2 mai 2008

Durcir

loo


On prend de l’âge, on ride, pas sur la vague, juste sur la gueule, on blanchit de la capuche, le neurone frémit de panique face à la moindre nouveauté vécue sur le mode du bizarre plutôt que sur celui de la découverte, plutôt en frigide du cervelet, en frigo de la culture qu’en chauffeur d’idées, davantage en endurci du bout de mou qui pend parfois entre les jambes qu’en ramolli de la barre affolée qui cherche pour soi sans même qu’on s’en aperçoive.

Bizarre : qui s’écarte du goût, des usages reçus.

On vieillit pour s’enferrer toujours plus dans le non-bizarre. Faut du repère, faut savoir où qu’on est. Mes usages (reçus?) eux ne sont bizarres que pour l'autre, qui, soit dit en passant n'y comprend rien à rien puisque son goût est si sûr. Et moins encore lorsque ces usages ne sont pas reçus, hérités. Créer des usages ? Hérésie....

On ride, pas sur la neige, juste sur la gueule. Et dedans, au croisement du cervelet et de l’œil, là aussi on ride et cela se perçoit parfois plus violemment. Le poil blanchit comme il s’essaime, comme s’éclaircit aussi la vue et la vérité crue, celle du croyant, pas celle de celui qui la voit nue se déhanchant comme une belle salope autour de son mât d’aluminium, inaccessible et vulgaire comme un mensonge mal formulé qu'il faut payer pour qu'il dure encore un peu.

Mais il faut être dur, c’est rassurant, dur comme l’assise d’un canapé bourgeois avide de ces chaires molles jusque dans les entrelacs d’un cerveau qui aurait plus d’affinités avec le baba au rhum qu’avec la fulgurance des éclairs électriques qu’on y trouve naturellement. Une étincelle par-ci, par-là, à étouffer promptement, donne l'avant-goût de la rigidité pré-cadavérique, de la dureté post-mortem, physique celle-là. A fuir...

Dur de partout : la mort. Et parallèlement la fin de l’idée, jamais plus molle qu'en cet instant, évanescente à l’extrême, fumeuse comme jamais, inexistante. C'est le néant. Dureté ?

Durcir, c’est bien au contraire s’affiner, c’est se préciser en conscience, c’est vomir ce qui pourrait s’accoquiner avec le (bon) goût, c’est élever au rang d’art le dégoût de la mollesse, l'autre nom de la rigidité et de la courte vue, c’est chercher les angles -de tir-, c’est se rendre prêt à décocher ses vues aux faces ramollies des réfrigérants du ciboulot. Durcir, c’est décocher à sa propre face les flèches revitalisantes du refus de l’enfermement si démocratique de la masse informe de ceux qui ont raison.

Durcir, serait-ce la traduction d’un certain courage, celui de tenir la barre du navire de la vie en proie aux tempêtes et aux colères de ceux qui ne s’écartent pas du goût ? Durcir, serait-ce cette façon si particulière de tenir à sa bizarrerie ? Car il est vrai que maintenir le cap d’une différence est un combat qui demande d’être dur avec soi et avec les autres, cela parce que le mou est une force dont la puissance a souvent été sous-estimée.


Loo