Hères, pauvres hères, damnés de la terre, pauvres, pauvres consentants que nous sommes!
Nous y voilà. À notre condition -dont, soit dit en passant, se fout royalement le fatum, notre bon ami- voilà à quoi se réfère notre misère. Oui, il s’en fout notre bien aimé fatum, pour la simple raison qu’à défaut d’être un Je, il n’est pas un Il et moins encore un On. Alors il s'en fiche. Il n’est rien, mais il est tout. Sans être quelque intelligence organisatrice et créatrice de pacotille, fatum n’en est pas pour autant un Néant. Du moins pas à l’échelle de l’existence que les singularités que nous sommes s’évertuent, ici et là, à mener à la vue, à l'oreille, en suivant le son furtif et discret de l’univers plutôt que le bruit grossier de la raison sociale, économique, de raisons idéologiques. Il faut former l'oreille.
Fatum est un être à venir. Fatum se branle, branle son non-corps, sa non-bite, son non-clitoris, fatum (se) branle, fatum, destine, oriente en énergie universelle et sans volonté, fatum fait sans rien faire, à travers ceux qui veulent et qui font, fatum se gausse, mais il n’a point de bouche, il se branle encore et encore de toute intellectualisation, de tout rationalisme. Fatum est un non(mais pas nihiliste) aux fixismes, aux rigides, à la maîtrise. Il est le monde expansif, un genre de Présence de l’Etre-Devenant déjà orienté vers une finalité qui toujours se réoriente, un destin dont la destination est toujours inconnue, une Natura sans Deus sur laquelle le petit homme voudrait plaquer du sens. Pour se sentir moins seul et, surtout, moins largué. Fatum destine...
A bien considérer ce vide sidéral, il ne reste plus, pour la rationalité, que le désir d'« éthique » dans la vie, devant les pragmatismes, les utilitarismes, les moralismes, les « ismes » organisationnels.
Oui, l'organisation, c’est confortable, pour naître, pour résoudre les contradictions relatives à notre rapport au monde, pour mourir aussi. Pour mourir ici, maintenant, pour mourir dès lors que l’on est sorti du vagin organisé, délimité par les lois, pour mourir ex utero, utérus rationnel, social, éducationnel, matrice gestatrice, productrice de "vies" policées, d'esprits prompts à l'autocensure, connivents avec la pensée dominante, consensuels et mous parce qu'il en faut un minimum pour faire tourner la machine. Notre "réel": passage d'une matrice à une autre, d'un "utérus" à un autre, d'une gestation à une autre. Du biologique au politique, simple changement de repères, de perspective. Mais cette vie conçue en termes numéraires, statistiques, de gestion du vivant humain, un peu à la manière de ces tritons et autres bêbêtes qu'il faut sauver avec des recettes de grands-mères débattues et votées à l'assemblée pour que vive dans un bonheur tout rose et joyeux la société organisée des tritons (… Natura 2000), cette "vie" est en contradiction avec la condition de cet être "condamné à la liberté", en contradiction avec le bios anthropos.
Quel horrible nom, d'ailleurs, pour une recette de grand-mère et pour « sauver » les tritons, on dirait une pub pour le TGV ou pour un modèle de voiture. Ils nous emmerdent royalement les tritons, ils s'en foutent des plans de sauvetage... à la manière du fatum qui continue de s'en ficher ! Mais on a peur, TOUT D’UN COUP. On fait pas les malins. Les tritons, les nénéphants, les tigrous, les bibiches, les meuhmeuh (ah non, pas elles), les cococodiiiiles et tout ce bordel… Et l’homme, maman dit ? Zut alors. Il ne s’agit finalement ni des cocococococodiles, ni des bibiches… Il s’agit de nos tronches de débiles mises face à nos propres contradictions et à nos organisations mortifères et morbides, à notre histoire assez peu reluisante.
Tout cela, la quasi-totalité des politiques "humanistes" l’a oublié. Ou alors ne l’a jamais véritablement intégré. Elle a consciemment éludé le problème pour l'intérêt d'une oligarchie et celui, aujourd'hui, de cyniques ploutocrates. C'est la conscience du véritable FAINÉANT. Ainsi, nos énarques, valets de seigneurs invisibles seraient les plus faignasses et certainement pas les plus libres en termes de pensée de l'humain ou de modèles ambitieux refusant toute instrumentalisation des individus. Cela n'est pourtant pas faute du manque d'inspirateurs jalonnant l'histoire des idées.
Finalement, plus l’on se réfère à la valeur « travail » et plus l’on est en fainéantise, plus on est également dans des logiques d'aliénations. Le travail, dont l'étymologie (tripalium) nous rappelle la barbarie est, comme valeur, quelque chose d'absolument rétrograde et résolument conservateur. Les voilà nos "faiseurs de monde" : des seigneurs gestionnaires, des actionnaires, des petits chefs, des cadres, des travailleurs fainéants. Il s'agit essentiellement de recadrer le monde, de le limiter en activité valorisante, valorisée et validée par nous, les suiveurs, validée par notre propre fainéantise pour assurer à une caste et à ses descendants le meilleur des mondes. Voilà l’autre du fatum. Mais il s'en fiche. Et pas qu'un peu.
Alors, le fatum, c’est l’autre de toute société érigée en vaste aire de jeu économique, comme la société est l’autre de la vie et, donc, de la mort. Avant même de savoir vers quoi le fatum porte la pensée de la vie, car il la porte, il faudrait en effet reconnaître que nos organisations se constituent contre la vie. Et donc contre le fatum. L’obligation de résultats que l’on retrouve jusque dans les totalitarismes les plus exemplaires est une manière de rendre muette, inaudible, cette "parole" du fatum, un murmure couvert par le brouhaha incessant des incantations gesticulantes d'icônes cathodiques et emprunte de la solennité nécessaire à faire peser les mots, fussent-ils creux.
L’organisation prend ainsi le pas sur l’essentiel que constitue la condition dans laquelle on se trouve, pour ainsi dire, jeté dès lors que naît à la vie le langage, la conscience, cette étrangeté qui produit la distance minimale entre le biologique et « l’humanitude », entremêlement de déterminisme et d'indéterminé, un "à déterminer".
Aussi, il faudra d’autres valeurs que celles portées par ce débilitant Nicolas, cette communiquante de Ségolène, plus douce il est vrai mais un tantinet démagogue pour le moment, et ce trublion de François qui réussit le tour de force de de se présenter comme la nouveauté et la radicalité du changement tant attendu. Avec ce genre de radicalité, il faudra redéfinir les mots "révolution", "subversion", "transgression", etc. Reste le reste, exceptée la droite extrême qui développe à l'extrême des tendances rampantes, des germes déjà là. Ce reste, un peu facilement réduit à ses vues irréalistes et irréalisables est, certes, tout autant idéologique, mais il dépasse le cadre habituel du raisonnabilisme financier et de son réalisme tout aussi parfaitement idéologique, ce reste, donc, propose quelques tentatives dignes d'intérêt pour des modèles d'humanité, pour des modèles de vie.
Et ça, ça fait un peu fatum ! Qui s’en branle, certes.
Loo.
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