"Meat" LooIndépendance et autonomie avérées de la création artistique ? Vaste question…
Ces éléments vont de l’impératif matériel et financier, qui pèsent sur toute structure culturelle à la tendance politique, pas systématique il est vrai, d’utiliser la culture à des fins de communication plutôt qu’à celles visant à émanciper les « consommateurs » (les cons !) et à l’élévation des esprits « français », en attendant mieux.
Momentanément, il est question de drapeaux tricolore, de bas instincts flattés en douceur. On serait ici plus proches de poils de culs frôlés à bout de lèvres, pour ce frisson réservé à quelques effarouchées mais flattées vierges, que d’une enculade franche à la Le Pen.)
Ségo, tu es douce (douce comme la franchise du Le Pen)…Et en cela à vomir. Fascisation des esprits…
Par ailleurs, ce sont aussi les pressions s’exerçant sur les artistes qui sont également intéressantes, car ces pressions, si elles existent (et elles existent), ne peuvent qu’orienter plus ou moins les choix esthétiques qui sont les leurs (encore des sub-putes !? Cf. le post sur Baudrillard). En d’autres termes, la seule question qui vaille : les artistes sont-ils libres ?
Et la question n’est pas exempte de difficultés ? Faut-il prendre en compte l’élément psychosociologique à la Bourdieu ou alors ne s’en tenir qu’aux faits économiques, politiques ou aux statistiques pour définir la création, considérer la profusion des œuvres, définir l’œuvre comme ce qui n’existe que dans son rapport au public ?
Ce questionnement sur la relation de l’institution culturelle à la création artistique ne peut en réalité que se centrer -en l’utilisant comme pivot- sur la notion d’"Autorité". Et cette « autorité » venant, étymologiquement, du haut (hiérarchie) devrait s’abattre sur l’artiste ( ?), alors limité dans son action par des pouvoirs publics le sommant de s’exécuter en suivant les décisions et les choix artistiques initiés au plus haut niveau.
Malraux, Lang et leurs potes...
Or, l’on peut s’attarder, entre autres, sur la réflexion sur l’autorité d’Hannah Arendt. Elle développe dans la Crise de la Culture, qu’il est apparu rapidement que l’autorité n’était pas forcément du côté où on l’attendait. Outre le fait que l’autorité soit en « recul », malgré les efforts de notre Sarkodingue, et que la sphère politique soit l’une des premières à en pâtir, il faut rappeler, précise-t-elle, que le concept est à distinguer de l’autoritarisme. Car si l’autorité permet l’exercice d’un pouvoir coercitif, c’est toujours accompagné d’une légitimité. Le politique, en ce sens, n’est légitime que pour autant qu’il dispose de cette autorité légitimante. La notion n’est en rien anti-démocratique dès lors qu’elle se comprend comme ce qui transcende l’Etat et lui permet, réellement, d’agir.
Or, cette crise de l’autorité dont il est souvent question pourrait faire penser que l’Etat cherche à asseoir son autorité, PERDUE, et donc sa légitimité, par autre chose. Cela peut se faire par la force, sauf qu’on est plus en démocratie. Ce peut être également par d’autres subterfuges dont la manipulation de l’opinion pourrait être un exemple. Et les méthodes sont variées et quelque peu machiavielienne.
L’une d’elles est éminemment intéressante : elle s’actualiserait par le biais de la respectabilité qu’octroie la culture, aujourd’hui présente partout, jusque dans des tourismes pas très scrupuleux et respectueux de la chose artistique.
Manipulation ? Voici donc l’artiste au centre de stratégies qui, dans son activité créatrice, est tenu, pour se faire une place dans l’institution, d’éviter de se montrer trop subversif ou trop critique ou trop éloigné des réalismes, du principe de réalité, des instances, du goût du peuple, en somme, du pouvoir. Art et pouvoir.
La culture et l'art se déplacent alors du côté de l’ordre…
Devant ce pouvoir de la culture et de son ministère, cette dernière est happée dans l'obligation nouvelle de faire « tenir debout » (stare=l’Etat), en ordre, une société en perte, paraît-il, de repères.
La création artistique se trouve en demeure de répondre au cahier des charges de la fabrication du lien social. Mais est-ce là le rôle du créateur ? Car si la création artistique accepte de ne créer que ce qui se range dans les cadres définis d’un certain réalisme politique et social (qui permet et autorise de rêver d’un certaine manière, et pas d’une autre, à travers les « illusions » offertes par l’art), elle oublie que comme création, elle est créatrice de mondes et de réalités à venir (pas forcément à réaliser) dont le propre se définit dans l’émancipation et dans le refus de tout modèles imposés. Eloge « deuleuzien » et surtout fatum (iste) des arts-libres et libérés…
Car, en effet, la politique culturelle est aussi une politique, et à ce titre, elle est pragmatique et souvent merdique. La création qui s’y plie se vide alors de son souffle vital. Elle perd sa capacité de résistance, et, allons-y, de résistance à la mort.
Le politique n’est pas seul responsable, tant la tendance globale est celle de l’intégration aux biens de consommation des biens de consommation culturels. L’exception que constitue ces biens culturels n’est peut-être plus aussi perceptible qu’à d’autre époques… et leur récupération publicitaire ou markéting ou de "contrôle" ne font qu’accélérer ce processus, dans lequel les créateurs sont, en tant qu’êtres sociaux, politiques et, surtout, comme créateurs de mondes à six sous, officiels, des collaborateurs, absolument absorbés et réduits au lèche-bottisme légitimateur et légitimant de financeurs.
Quand la création devient politiquement correcte et syndicalisée… Et d'autant moins combative. Nouveau courant : "l’Art-Mou" vive !
Quel est l’avenir de la création dans ces conditions ?
On parle depuis de nombreuses années de décentralisation culturelle. L’investissement des collectivités en la matière surpasse celui de l’État et l’on pourrait espérer que le recul du ministère dans l’ingérence culturelle puisse être positif pour la liberté de la création. Et pourtant…
La proximité plus grande des élus et des projets culturels dans la ville accroît l’interdépendance des impératifs électoraux et des choix esthétiques. Le créateur a besoin de moyens dont l’octroi subventionnaire par les pouvoirs locaux n’est jamais sans parti pris. Il s’agit bien d’un totalitarisme, discret, de proximité !
Par ailleurs, l’instrumentalisation culturelle, du fait de ces rapprochements hasardeux pourrait être plus grande encore. La culture-vitrine d’un programme électoral ou d’un élu est toujours espérée parce que cela est une légitimation d’idées subvertie par les promesses de subventions. Et le phénomène de médiatisation, pas très neuf, ne fait qu’accroître cette tendance.
À cela il faut ajouter la complexité technique (de cette technocratie culturelle) qui permet à un projet de voir le jour. L’action artistique et culturelle n’en sort pas grandie dans la mesure où il sera plus facile de choisir des événements dont on est sûr qu’ils aboutiront.
Moins de risque et plus de « cirque » donnent vie à la sécurité et au confort des artistes et du public, c'est-à-dire, dans la contradiction la plus dialectique qui soit, aux logiques les plus mortifères. Et les plus débilitantes.
Voilà le tourisme pointant sa grosse queue.
Et c’est là-dessus qu’il faut terminer. Avec Tocqueville, loin d’être l’intellectuel le plus révolutionnaire, il ajoute, le bonhomme, ce point d’interrogation, sur ce qu’il appelle le « despotisme doux ». Il décrit, tout simplement et parfaitement, le monde dans lequel nous sommes (cf. références plus bas).
Après qu'il ait décrit le nouveau « Léviathan » des temps modernes (pouvoir immense et tutélaire qui bouffe l’esprit critique du quidam et qui vide l'art de sa substance) qui veille paternellement sur chacun, on ne peut s’empêcher de penser au type de société qui se construit ici et ailleurs [1].
Ce passage montre simplement vers quoi peut aboutir la « crise de l’autorité », à savoir la légitimation citoyenne, autorité conçue comme fonds commun, garante de la liberté et notamment de la liberté créatrice. Voilà le glissement vers un autoritarisme qui ne dit pas son nom, qui ne se voit pas, mais qui, à travers la toute puissance du « loisir » et de son extension à l’appréhension de la création artistique bride jusqu’à la créativité et sa capacité à résister. Et cela est d’autant plus vrai lorsque la « résistance » ne se trouve pas ou plus d’objet.
[1] Cf. Tocqueville, De la démocratie en Amérique (TII, Quatrième partie, p. 385, Garnier-Flammarion).
1 commentaire:
Quel texte! Heu t'as oublié de noter l'auteur de "De la démocratie en Amérique"
C'est éloquent et très juste; Notre fatum est d'abord liberté, artistique si c'est le support.
Djü
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